Vers quinze ans, vous désertez les
bancs de l’école…
Je venais de trouver un domaine dans
lequel je pouvais exister… Alors, il ne me restait qu’à faire le mur et
m’échapper pour ma nouvelle destiné… Ensuite, j’ai été « boy » dans une
grande maison, apprenti coiffeur, apprenti journaliste…
Puis vous rencontrez le peintre
marocain Jillali Gharbaoui…
L’un des plus grands peintres mais je
l’ignorais à l’époque. Une fois de plus, j’y suis allé au culot et je lui
dis : « Vous savez, je fais de la peinture ». Il me demande de lui
montrer, mais je n’avais encore jamais rien fait. Alors, en rentrant chez
moi, je me mets à peindre avec mes mains sur du papier et je lui fais deux
dessins. Il m’avait donné rendez-vous le lendemain dans un café, Les
ambassadeurs, à Rabat. Je n’avais pas d’argent pour prendre le bus,
alors je m’y suis rendu à pieds depuis Takaddoum. Et, plutôt que de
prendre directement l’avenue Mohamed V, j’ai fait un détour. Quand,
j’entends frapper à travers la fenêtre d’un restaurant français : c’était
Gharbaoui qui déjeunait avec deux avocats, collectionneurs. Un coup de
chance, car j’aurais été très déçu de ne pas le trouver à notre
rendez-vous. Il me fait signe de rentrer. C’était encore un geste de Dieu,
car j’avais faim. On me sert un bon repas puis je lui montre mes deux
premiers dessins… Il obligea presque les deux collectionneurs a les
acheter, 20 dirhams chacun. Avec cet argent j’allais acheter mes premiers
pinceaux et tubes de peintures.
Gharbaoui est donc l’homme qui a
déterminé votre carrière…
En dehors d’être un grand peintre,
c’était un homme d’une générosité et d’une gentillesse exceptionnelle à
mon égard. Je l’ai vu presque quotidiennement, il m’a en quelque sorte
adopté, et, ce qui est extraordinaire, c’est qu’il ne m’a jamais rien
demandé en échange. Gharbaoui paraissait distant, c’était donc un bonheur
pour moi de bénéficier de son amitié.
A l’âge de 17 ans, vous partez en
France à l’aventure…
C’était en 69, j’avais traversé avec un
couple suisse qui m’avait déposé après la frontière, à Bayonne J’avais
trois sous en poche et j’étais d’une naïveté déconcertante. Je ne
connaissais même pas la géographie. Des scouts me prennent en stop et me
déposent dans un presbytère pour y passer la nuit. Je voulais me rendre à
Paris mais je me suis retrouvé à Toulouse, allez savoir pourquoi… Le
lendemain, un curé me sert un bon petit déjeuner et me donne 50 francs
avant de me déposer au bord de l’autoroute, en direction de Paris.
Vous arrivez finalement à bon port…
Oui, j’arrive à Paris où j’ai ressenti
une grande froideur. Pas un sourire… C’était terrifiant. Je me rends à
l’adresse d’une personne que l’on m’avait recommandée. L’adresse était
erronée. Je me rends à La Maison du Maroc où je connaissais
quelqu’un. Il était absent. Je passe la nuit dans un couloir et, le
lendemain matin, je décide de reprendre la route pour Toulouse où j’avais
trouvé les gens plus chaleureux. Je me voyais déjà rentrer au Maroc. Je
n’avais plus un sou et je suis resté plusieurs jours sans manger, mais
malgré les angoisses et les difficultés, une force au dessus de moi, me
poussait encore à me battre…
Il s’agit là, de cette foi
incommensurable qui vous habite…
Je remercie Dieu chaque jour d’avoir
toujours mis les bonnes personnes sur mon chemin, au bon moment. J’ai eu
des instants de doute, comme tout le monde, mais Dieu a toujours été
présent. Quand j’entreprends quelque chose, la plupart des gens pensent
que tout est calculé mais les choses se déroulent comme un tapis, c’est
impressionnant. Et c’est cette chance qui m’a permis de trouver un
équilibre.
Après tous ces tourments, vous
intégrez l’école des Beaux Arts de Toulouse d’où vous sortez quatre ans
après, diplôme en poche…
J’avais un professeur exceptionnel qui
est devenu par la suite un ami. Il m’a beaucoup aidé. Ensuite je fis ma
première expo, les journaux parlaient de ma peinture, cela ma permis de
trouver des acheteurs… Enfin, j’étais heureux… Puis j’ai découvert l’amour
et les femmes… C’était un tournant considérable. Car une vie sans amour,
c’est une mort. Je plains les gens qui n’aiment pas et ne sont pas aimés
car je dois beaucoup aux femmes.
Ensuite, vous passez un an à l’Ecole
Supérieure des Beaux Arts de Paris et devenez professeurs d’Arts
Plastiques au Lycée La Rochefoucauld… Quelles sont vos influences
artistiques ?
Il y en a beaucoup : Monet, Clee, Miro,
Michaud… La découverte de tous ces artistes a influencé mon oeuvre. Mais
la rencontre avec Monet et ses Nymphéas a été une révélation qui a
déterminé ma recherche pictural.
Votre style particulier, la touche
Qotbi se définit dans des toiles mystérieuses où l’écriture arabe règne
en maître… Que racontent ces signes et ces lettres ?
C’est une
broderie musicale, une musique intérieure où l’écriture arabe est intégrée
dans une démarche contemporaine. La musique est ma principale source
d’inspiration, car elle transcende les frontières. Un Mozart, par exemple,
est ressenti de la même manière en Europe, au Maroc ou à Katmandou… La
musique amène l’amour et la compréhension entre les êtres.
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