Lolo Qui ? Lolo Quoi !
Mehdi Qotbi, un artiste engagé
Par Agathe Turquois
Photos © Alexandre Mathieu
Frappé par la faveur de Dieu dès son
enfance difficile, Mehdi Qotbi est un être profondément croyant, à qui la
chance sourit. Comme des tapisseries murales, ses toiles minutieuses, où
l’écriture orientale est reine, reflètent les couleurs de ce merveilleux
jardin d’Eden dans lequel l’homme est hôte. Ses tableaux, fruits d’une
minutie pointilleuse allant jusqu’à saturation du support, représentent
près d’un mois de labeur. Très impliqué dans la vie politique de son pays,
Mehdi Qotbi est reçu dans les plus hautes sphères internationales, se
voyant à maintes reprises médaillé. « Un esprit saint dans un corps
sain » telle est la philosophie de cet homme, qui ne boit jamais d’alcool,
se couche tôt pour se lever à l’aube et profiter de chaque instant de sa
vie, qu’il compte finir le pinceau à la main mais le sourire aux lèvres…
Vous avez grandi à Takaddoum, un quartier
populaire de Rabat… Quels sont vos souvenirs d’enfance ?
J’en ai très peu… La découverte de l’eau
courante… Pouvoir prendre une douche… Car des bidonvilles, nous avons franchi
quelques mètres pour être relogés dans une petite maison en dur. Une habitation
sociale où nous avions deux chambres, une petite cour. C’était un
émerveillement. L’électricité, aussi… J’ai également quelques souvenirs de
course avec mes camarades. J’adorais courir. Nous faisions le tour du quartier,
cela me permettait de m’échapper un peu de la pesanteur de mon environnement
sociale.
Le culot qui vous caractérise, vous en usez
d’abord en faveur de votre sœur auprès de Monsieur Mahjoubi Aherdane, alors
ministre de la défense. Comment s’est déroulée cette rencontre ?
Le culot, c’est une nécessité pour
survivre…J’ai toujours eu envie d’aller vers l’autre et cela n’a jamais changé.
Au départ, c’était vital puis, par la suite, c’est devenu partie intégrante de
ma personnalité. Je devais avoir 8 ou 9 ans, j’avais vu sa voiture et je l’ai
attendu. Cela l’avait amusé. Ma sœur adoptive venait d’obtenir son diplôme de
dactylo, mais ce dont j’avais vraiment envie, c’était d’être reconnu au sein ma
famille, où j’étais quasi inexistant. Je me sentais un peu délaissé et j’avais
envie d’attirer l’attention de mes parents.
Par la suite, ce même ministre
vous fait intégrer l’école militaire de Kenitra…
Il m’avait demandé de venir le voir chez lui
le lendemain, et par la suite, j’y suis allé assez régulièrement. Lors d’un
défilé militaire à Rabat, j’avais vu les élèves du Lycée de Kenitra. Ces garçons
de mon âge qui avaient des tenues impeccables, étaient admirablement sanglés.
Cela allait dans mon cheminement qui était d’attirer l’attention, et quand je
suis retourné voir Aherdane, je lui ai exprimé mon souhait de rentrer au Lycée
militaire. Il m’a demandé de me présenter à son bureau. Comme j’étais dans un
système scolaire arabisant, il fallait d’abord que j’apprenne le français et
c’est sa secrétaire qui me l’a enseigné. Je voulais lui plaire alors j’ai mis
les bouchées doubles.
Il s’agissait d’un Lycée très huppé,
comment avez-vous vécu la situation ?
Je me trouvais en présence de fils de
ministres et de hauts gradés militaires… Je découvrais ce qu’était la vraie
cuisine, avec de vrais repas, matin, midi et soir… Et de la viande tous les
jours… Au petit déjeuner nous avions des pains au chocolat, bien croustillants…
C’était un autre monde qui s’ouvrait à moi. J’étais un peu perdu quand même… Ce
n’était pas mon milieu mais c’était passionnant. Certains avaient des voitures
avec chauffeurs qui venaient les chercher pour le week-end… Cependant, je ne
voudrais pas échanger ma vie contre une autre, car tout ce que j’ai pu vivre,
j’en connais sa valeur et cela m’a donné la force d’être plus proche de mes
semblables.
Racontez nous ce fameux jour où vous
découvrez votre raison d’être, la peinture…
L’établissement
proposait plusieurs club. Les plus méritants des élèves avaient droit à
l’escrime, au judo… Et les moins bons, dont je faisais partie, n’avaient d’autre
alternative que le jardinage ou le scoutisme. J’ai opté pour le scoutisme
pensant que ça me permettrait de sortir, car j’accumulais les punitions tous les
week-end. Nous nous appelions Les tigres. En prenant possession de nos
locaux, le sous lieutenant qui nous encadrait nous a demandé de décorer les
murs, mettant pinceaux et couleurs à notre disposition. Comme personne n’osait
les utiliser, et sans me rendre compte, je me suis précipité dessus et me suis
mis à peindre. J’étais dans une sorte de transe, où de loin, j’entendais des
« oh ! » et des « ah ! » qui m’ont fait revenir sur terre. J’ai reculé et là,
j’ai découvert un tigre près à bondir. Ce tigre a bouleversé ma vie, ce fut le
moteur du reste de mon existence.
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